Le mois de décembre avait donc été éprouvant pour certains. Et les histoires de famille aussi. Chine avait observé le tout d'un oeil extérieur, ses parents n'ayant pas pu se déplacer jusque là. Il supposait que ç'avait été une bonne chose pour nombre de ses condisciples, car s'il y avait bien un sentiment commun à la quasi totalité des étudiants de l'Académie, c'était le sentiment de déracinement. Chine estimait qu'il avait de la chance, de ce côté-là. Certes, comme les autres, et malgré les années, il avait parfois un solide mal du pays, mais l'affection éperdue qu'il portait aux membres de l'aile asiatique lui procurait un sérieux palliatif. Et, bien sûr, il y avait la proximité du quartier chinois, qui était une véritable bénédiction. Le moindre coup de blues était enrayé par une visite dans ces rues-là. C'était une technique qui fonctionnait depuis son arrivée à l'école. Quelques minutes de marche lui permettaient de se retrouver dans une atmosphère semblable à celle dans laquelle il avait vécu ses dix premières années de vie, d'entendre parler tout autour sa langue natale, de garder un contact étroit avec son pays, en fait. Oui, il avait beaucoup de chance.
Il y avait une autre raison pour laquelle il fréquentait assidument le quartier chinois. Il y avait ici beaucoup de choses qu'il ne pouvait trouver nulle part ailleurs, et qui lui évitaient de demander de longs et hasardeux envois postaux. Ça pouvait être tout et n'importe quoi. De la nourriture ou des ingrédients pour la cuisine. Des livres. Des vêtements. du thé. Des menus objets dans ces boutiques débordant de bric à brac. Des endroits où Yao passait systématiquement, la pharmacie traditionnelle, et l'herboristerie, pour obtenir les précieux remèdes en vue des petits malheurs qui survenaient dans l'aile asiatique.
Beaucoup de visages asiatiques arpentaient ces rues au quotidien, bien sûr. Mais on y croisait bien souvent de nombreuses silhouettes bien caucasiennes aux traits occidentaux, venues faire quelques emplettes, se restaurer ou simplement en faire le tour, parce qu'il fallait bien dire ce qui était , surtout du point de vue très objectif - sisi. - de Chine : le quartier chinois est très joli et très agréable. Et il était toujours content et fier de constater à quel point Chinatown attirait les gens.
Mais même au milieu d'une rue hétéroclitement peuplée, difficile de louper la masse de Russie, et Yao le repéra de loin, à l'instant même où il sortait du petit supermarché bondé, à croire que tout le monde avait décidé de s'y prendre, comme lui, un bon mois à l'avance pour les préparatifs de la célébration du nouvel an. L'air froid l'avait saisi à la sortie du magasin. Il glissa le sac à son poignet, et rajusta sa veste avant de s'avancer.
Yao aimait bien Russie. Son pays et le sien avaient une histoire étroitement liée et des relations diplomatiques des plus cordiales, mais au delà de ça, le russe était affable et amical envers lui, même si Chine le retrouvait très, très souvent dans son sillage et qu'il jaillissait souvent de nulle part directement dans son dos, lui provoquant des frayeurs qui, un jour, il en était sur, finiraient par avoir sa peau. Et à la différence de ses petits asiatiques, il avait, en grandissant, gardé en constance ce côté enfantin que Chine se lamentait de ne plus trouver que ponctuellement chez sa tripotée de petits frères et soeurs d'adoption. Qui plus est, à la différence de... certains ><" , Russie manifestait intérêt et respect pour la glorieuse et ancienne culture chinoise. De fait, il ne fut pas surpris outre mesure de le trouver là, à scruter une vitrine, et il esquissa un léger sourire. Autant de raisons que Chine avait d'apprécier la gigantesque bestiole slave.
En revanche, il n'avait pas l'aveuglement ukrainien dans la rétine. Il comprenait bien pourquoi Russie était généralement isolé et souvent craint, et n'en blâmait pas ceux qui le fuyaient. Le russe se montrait volontiers intimidant, voire menaçant. Quant à savoir dans quelle mesure il le faisait exprès, là, c'était une autre histoire, et Yao n'a pas pour vocation une triple maîtrise de psychologie enfantine, en fait. Et ce n'était, en fait, pas ses affaires, non non, il n'y faisait pas attention, il n'avait rien vu. Parce que disons-le, à l'instar de son gouvernement, Chine a cette bonne propension à ne pas voir ce dans quoi il n'a aucune envie de s'impliquer.
Il approcha, curieux de voir ce qui absorbait Russie, et une fois près de lui, il manifesta sa présence en élevant la voix.
"Ni hao Russie aru. Tu as l'air absorbé. Qu'est ce qui t'intéresse à ce point là dedans aru ?"