La raison pour laquelle Russie se trouvait planté comme une grosse courge à l'entrée du quartier chinois, c'était qu'il avait insisté pour retrouver Chine sur place, parce que, hein, faire le trajet ensemble, ça faisait très... Il n'avait pas été foutu, en revanche, d'expliquer ce que 'ça faisait' au juste. Mais après tout, c'est bien connu : Chine n'est pas contrariant, n'est ce pas, et de toutes façons, Russie n'est jamais à cours d'arguments nazes, quitte à enterrer ses interlocuteurs sous sa mauvaise foi la plus compacte. Et au final, il avait courageusement traversé les contrées américaines qui séparaient l'Académie de cette sphère asiatique, et en avait profité pour aller faire sa vie entre les deux. Déterminer en quoi consiste 'faire sa vie' dans l'existence de Russie revient à se demander comment sont alimentés les stocks effrayants de vodka planqués dans le dortoir, notamment sous le lit de Lettonie - il paraîtrait d'ailleurs que le dessous du lit de Lettonie est la planque universelle dans l'aile slave, probablement du fait qu'avec sa tête de chaton noyé il risque carrément moins d'attiser les soupçons de surveillants traqueurs en cas d'inspection, mais ce n'est peut-être qu'un bruit de couloir.
Sortir de l'Académie, c'est toujours une aventure épique, même quand c'est sur les plages horaires autorisées : il faut réussir à passer tous les niveaux - aile/couloirs/parc - sans tomber sur le boss final biélorusse, celui qui pratique le oneshot d'un seul élan et à qui on échappe qu'en procédant à un détournement d'attention avec le sacrifice rituel d'une victime au consentement variable - il faudrait vraiment mettre la main sur Lituanie, ça manque de praticité - et en se retranchant dans un placard bas level. Parce que même le dessous du lit susnommé n'est pas suffisant, dans ce genre de cas extrêmes.
Ce jour-là néanmoins, raser les murs semblait avoir été suffisant, et il était arrivé à destination entier et approximativement à l'heure dite.
Le truc, c'est qu'il ne voulait juste pas entrer dans la zone tout seul. Sans déc. Z'êtes déjà allés dans un quartier chinois ? Ah, l'entrée, y a pas de souci, elle se repère très facilement, suffit de suivre l'odeur de nourriture - en vrai, ils mangent toute la journée, les chinois ? - mais alors pour retrouver la sortie, c'est autre chose. Sérieusement ! Tout se ressemble - je vous ai entendu penser, oui, tous aussi, mais cette fois, c'est pas moi qui l'ai dit, bande de gros politiquement incorrects, devriez avoir honte. Bref, une fois entré, on s'enfonce, on tourne en rond jusqu'à ce que mort s'ensuive, et au final, on se retrouve à errer pour toute l'éternité entre blanchisseries, restos à chiens et échoppes bordéliques avec ateliers textiles clandestins dans le sous-sol.
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Bref, il attendait Chine. Enfin, il attendait Yao. Parce que vu l'endroit, glapir du ChineChineChine, ça fait de suite fanboy. Pourquoi là et pour y faire quoi, il ne savait pas et honnêtement, il s'en foutait ; s'il s'était déplacé, c'était pour squatter le chinois bien davantage que le quartier du même nom. Bien sur, les choses n'étaient pas plus simples dehors que dans l'enceinte de l'école, mais au fond, c'était secondaire même si c'était contrariant. L'important, c'était sa présence, et il était vraiment disposé à le stalker suivre à la fois au delà de l'entrée du quartier chinois, et au delà des bonnes relations économiques, diplomatiques ou n'importe quoi d'autre en -ique. Juste parce que c'était Chine, et que Chine était à lui.
Et alors qu'il attendait en s'enfouissant peu à peu dans son écharpe, il en venait à se demander si un de ces jours, le potentiel conciliant de Chine irait jusqu'à accepter d'adopter une allure plus féminine pour donner le change, avec sa morpho ça passerait facilement - généralement quand on en arrive à envisager ce genre d'extrémité, c'est qu'on a touché le fond de la frustration, il serait vraiment temps de se filer un coup de pied au cul. Bon. En lui demandant gentiment ? Ouais, peut-être pas.... mais, à l'occasion, ça vaudrait quand même peut-être la peine d'essayer. Après tout, dans le pire des cas, il ne risquerait rien d'autre qu'une explosion de fureur asiatique.